Les registres littéraires
(tonalités) :
1/ Je viens de faire mon testament. A quoi bon ? Je
suis condamné aux frais et tout ce que j’ai y suffira à peine. La guillotine,
c’est trop cher.
2/ Les hommes, je me rappelle l’avoir lu dans je ne sais
quel livre où il n’y avait que cela de bon les hommes sont tous condamnés à
mort avec des sursis indéfinis. Qu’y a-t-il donc de changé à ma
situation ?
3/ Je voulus répéter à haute voix ce que je lui avais
dit ; plutôt cent fois la mort ! Mais l’haleine me manqua, et je ne
pus que l’arrêter rudement par le bras, en criant avec une force
convulsive : Non !
4/ Un condamné à mort ! Voilà cinq semaines que
j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa
présence, toujours courbé sous son poids.
5/ Je me levai, mes dents claquaient, mes mains tremblaient
et ne savaient où trouver mes vêtements mes jambes étaient faibles. Au premier
pas que je fis, je trébuchais comme un portefaix trop chargé.
6/ Il m’a semblé tout à coup que ces noms fatals étaient
écrits avec du feu sur le mur noir … et puis il m’a paru que le cachot était
plein d’hommes, d’hommes étranges qui portaient leur tête dans leur main
gauche, et la portaient par la bouche, parce qu’il n’y avait pas de chevelure.
7/ C’était en effet, pour un reclus solitaire, une bonne
fortune qu’un spectacle, si odieux qu’il fût. J’acceptai l’amusement.
8/ Ah qu’une prison est quelque chose d’infâme ! Il y a
un venin qui salit tout. Tout s’y flétrit, même la chanson d’une petite fille
de quinze ans ! Vous y trouvez un oiseau, il a de la boue sur
l’aile ; vous la respirez, elle pue.
9/ C’est monsieur le procureur général, je lui ai-je
répondu, qui a demandé si instamment ma tête ? Bien de l’honneur pour moi
qu’il m’écrive. J’espère que ma mort lui va faire grand plaisir ; car il
me serait dur de penser qu’il l’a sollicitée avec tant d’ardeur et qu’elle lui
était indifférente.
10/ Ah ma pauvre petite fille ! Encore six heures et je
serai mort ! Je serai quelque chose d’immonde qui traînera sur la table
froide des amphithéâtres ; une tête qu’on moulera d’un côté, un tronc
qu’on disséquera de l’autre, puis de ce qui restera, on en mettra plein une
bière, et le tout ira à Clamart.
11/ Ô ma grâce ! Ma grâce : On me fera peut-être
une grâce. Le roi ne m’en veut pas. Qu’on aille chercher mon avocat ! Vite
l’avocat ! Je veux bien des galères. Cinq ans de galères, et que tout soit
dit – ou vingt ans – ou à perpétuité avec le fer rouge. Mais grâce de la
vie !
12/ Je me vois enfant, écolier rieur et frais, jouant,
courant, criant avec mes frères dans la grande allée verte de ce jardin sauvage
où ont coulées les premières années.
13/ Seul à seul avec une idée de crime et de châtiment, une
idée de meurtre et de mort ! Est-ce que je puis avoir quelque chose à dire,
moi qui n’ai plus rien à faire faire dans ce monde ?
14/ … Et nous découvrîmes une petite vieille, les mains
pendantes, les yeux fermés, immobile, debout, comme collée au mur… elle
demeurée sans voix, sans mouvement, sans regard.
15/ Elle est fraîche, elle est rose, elle a de grands yeux,
elle est belle. On lui dis lui a mis une petite robe qui lui va bien.
16/ Ma grâce ! Ma grâce ! Qui sait ! Elle
viendra peut-être ! Cela est si horrible, à mon âge de mourir ainsi !
Des grâces qui arrivent qui dernier moment on l’a vu souvent. Et à qui
fera-t-on grâce, monsieur, si ce n’est à moi ?
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